Cela ressemble au vertige, cela produit parfois les mêmes effets que le vertige… mais ce n’est pas du vertige. C’est de l’acrophobie, une peur irraisonnée de la hauteur qui affecte entre 2 et 5 % de la population, dont une majorité de femmes.
Cette maladie n’est pas liée à un souci physiologique ; les caprices de l’oreille interne n’y sont pour rien : comme toutes les phobies, elle est d’origine psychique. Et ses manifestations peuvent être extrêmement invalidantes. Il suffit qu’un acrophobe anticipe le risque d’être en altitude pour ressentir une bouffée d’angoisse. Dans les cas les plus extrêmes, le simple fait de regarder d’autres personnes haut perchées peut déclencher une réaction de panique.
Parmi les différents traitements possibles, le plus courant est la psychothérapie comportementale et cognitive. « Le principe est de confronter le patient à ses craintes pour lui apprendre progressivement à les dominer, décrypte le docteur Rachel Bocher, psychiatre au CHU de Nantes. On le place dans des situations où il est en hauteur, d’abord de manière virtuelle, puis de façon plus concrète. »
Une tour Eiffel numérique
La mise en pratique est souvent difficile. « Lorsque vous avez affaire à des personnes tétanisées à la seule idée de se retrouver sur un balcon, il n’est pas évident de les convaincre de grimper où que ce soit », observe Daniel Mestre, psychologue, responsable du Centre de réalité virtuelle de la Méditerranée (CRVM)*. Sans parler des difficultés plus… terre à terre : « Il n’est pas toujours possible de placer un patient au sommet d’un immeuble à chaque séance de psychothérapie. »
La réalité virtuelle peut alors apporter une aide précieuse. « Au lieu de faire monter un acrophobe en haut de la tour Eiffel, on le fait monter en haut d’une tour Eiffel numérique », résume Daniel Mestre. Equipé de lunettes 3D, le patient entre dans une salle immersive (ou « cave automatic virtual environment », Cave) dans laquelle est projeté sur les murs et au sol un univers en relief. Il se retrouve par exemple sur le toit d’un building new-yorkais, prié d’avancer sur un plongeoir suspendu dans le vide.
Moins anxiogène et moins risqué
« L’impression de hauteur est bien réelle, car la profondeur de champ est saisissante, assure le responsable du CRVM. Mais en même temps, le patient sait qu’il se trouve dans un environnement protégé, qu’il ne risque rien. C’est moins anxiogène et moins risqué que de le placer au bord d’un vrai précipice ! »
Au fil des séances, il s’habitue et avance plus aisément sur la planche. « On peut alors intensifier la situation de stress, par exemple en diminuant la largeur du plongeoir. L’avantage, c’est que nous pouvons créer et adapter tous les environnements au rythme de la progression du patient. » Selon Daniel Mestre, il suffirait d’une séance par semaine pendant deux mois, associée à des sessions de relaxation, pour obtenir des résultats significatifs.
Ce projet, lancé par le CNRS en 2013, n’en est qu’à ses débuts. L’objectif est de combler le retard avec le Canada et les Etats-Unis, où ces techniques sont testées depuis une dizaine d’années avec des visiocasques. « A terme, on pourrait utiliser la réalité virtuelle pour traiter d’autres phobies, comme la peur des araignées, des serpents ou du feu », conclut le psychologue, convaincu que les applications thérapeutiques des techniques numériques n’en sont qu’à leurs balbutiements.
Cédric Portal
* Le Centre de réalité virtuelle de la Méditerranée (CRVM) est une plateforme technologique de recherche mutualisée. Il est rattaché à l’Institut des sciences du mouvement, unité mixte de recherche CNRS-Aix-Marseille université.